Découvrez toute l’actualité et les articles de TNUMIS Magazine en exclusivité
Rencontre avec Philippe Théret
Le Franc. Les essais, les Archives. Napoléon Ier, sorti en octobre 2023, couvre le Franc germinal de 1803 à 1815. Il livre l’étude de 402 essais, accompagnée de leurs cotations pour quatre ou cinq états de conservation.
Il s’agit du premier tome d’une étude bien plus vaste sur les essais, allant de la création du Franc à la chute de Napoléon III. L’ensemble est voué à être une véritable encyclopédie de la numismatique moderne française, grâce à une approche historique et scientifique.
Cette série est l’aboutissement d’un travail de recherche colossal orchestré, entre autres, par Philippe Théret. Nous l’avons rencontré et il a accepté de répondre à nos questions.
Quel est votre parcours de numismate ?
Aujourd’hui, la numismatique est devenue mon activité principale, après un parcours professionnel d’ingénieur en informatique. Si, en premier lieu, ces deux passions paraissent éloignées, la recherche les rassemble pourtant. À l’époque, je m’attelais à l’exploration de l’intelligence artificielle, aujourd’hui, c’est l’investigation dans les essais du Franc qui occupe toute mon attention.
J’ai découvert le monde de la collection à 14 ans, grâce à un voisin numismate qui m’avait ouvert les portes de sa bibliothèque. Je me suis alors abonné à des magazines spécialisés et rapidement, mon domaine de prédilection est apparu : les monnaies en argent de la Première République.
J’ai acheté ma première monnaie à 17 ans : une pièce de 5 francs union et force, An 7 de Bayonne. Je m’en souviens comme si c’était hier.
Comment est né le projet de la collection Le Franc. Les Essais, les Archives ?
Vingt ans après, j’ai rejoint l’association des Amis du Franc. C’est dans ce cadre, avec les collègues de l’association, que nous avons souhaité développer une nouvelle approche autour de la monnaie, en exploitant les archives de la Monnaie de Paris.
En 2003, commença le long travail de numérisation et d’acquisition des données, mené par toute une équipe. Au total, plus de 160 000 photos ont été prises. Les amis du Franc possèdent donc un fond d’environ 250 000 pages manuscrites ou dactylographiées. Une fois toutes ces données collectées, nous avons procédé à la lecture des contenus, parfois rédigés dans des formulations anciennes, et à leurs analyses.
Au départ, l’objectif était de partager les connaissances sur le forum de l’association et dans des magazines ou revues numismatiques. Finalement, les écrits récoltés sont tellement denses et passionnants que nous avons décidé d’en faire un livre. Puis deux. Puis trois…
Les deux premiers ouvrages se concentrent sur les monnaies courantes. Le Franc. Les monnaies, les archives a été édité en 2019. En 2021, nous avons souhaité rendre hommage au graveur et à l’artiste, avec l’ouvrage Le Franc d’Augustin Dupré.
En octobre 2023, nous avons sorti le premier tome d’une longue série sur les essais : Le Franc. Les Essais, les archives. Napoléon Ier. Cinq autres ouvrages vont suivre : le 2ᵉ tome sur Louis XVIII est en cours d’impression, le 3ᵉ couvrera le règne de Charles X, puis les suivants ceux de Louis-Philippe, la Seconde République et Napoléon III.
À qui est destinée cette collection ?
Aux numismates collectionneurs d’essais monétaires, bien sûr, mais aussi, plus largement, aux collectionneurs de monnaies françaises. Grâce à la sortie des deux premiers ouvrages sur les monnaies courantes, en plus des archives, nous avons pu accéder aux collections nationales de France (monnaies et outils de frappe).
Le Franc. Les Essais, les archives. Napoléon Ier présente les variantes, leur rareté, l’évaluation de leur prix selon leur état de conservation, ce qui permet aux collectionneurs débutants autant qu’aux avertis de retrouver l’ensemble des informations.
L’ouvrage comprend différents niveaux de lecture :
- la reproduction des archives qui font le lien permanent entre l’histoire monétaire et la grande histoire ;
- les catalogues d’essais ;
- les illustrations des monnaies, en grands formats, qui s’apparentent à des œuvres d’art et qui valorisent le travail des graveurs.
Comment Le Franc. Les Essais, les Archives se démarque des autres ouvrages publiés sur le sujet ?
Le Franc. Les Essais, les Archives. Napoléon Ier a permis de livrer une meilleure complétude, avec un périmètre 2 à 3 fois supérieur à ceux des anciens ouvrages de référence en la matière. La tendance sur les autres volumes de la série est la même.
Il comprend 544 pages richement illustrées avec la présentation d’une multitude de documents d’archives, décrets, ordonnances monétaires, et explications. Cet état de connaissance n’avait pas été mis à jour depuis plus de cent ans avec ce niveau de détail, révélant ainsi une mine d’informations inédites.
De plus, les illustrations sont également de qualité, en couleurs et en grand format. Et on a ajouté de nouvelles informations sur les chiffres de fabrication, qui ont un impact sur l’indice de rareté et la cote.
Est-ce que ce travail a fait évoluer votre vision de la numismatique ?
En effet, ces livres ne sont pas uniquement des catalogues ou des accumulations d’essais, ils portent un regard analytique qui met en lien la numismatique avec les événements historiques.
Le plongeon dans toutes ces archives m’a fait comprendre à quel point la numismatique est porteuse de sens. Remis dans leur contexte, les essais ne sont pas uniquement des objets, mais des marqueurs de changements historiques, de décisions politiques et administratives.
Les processus de création et de fabrication, leurs évolutions, les anomalies aussi, aident à comprendre des notions historiques bien plus vastes. La petite histoire est reliée à la grande et la numismatique se révèle être les albums photos d’époques révolues, les publicités d’un souverain ou d’un régime en place.
Quelle anecdote numismatique souhaiteriez-vous partager avec nous ?
Les essais de Napoléon Ier de 1803 sont pour moi exemplaires de ce que je viens de vous raconter.
Le Franc existait déjà depuis 1796, mais le système monétaire était à base d’argent et le bimétallisme n’avait en réalité pas été mis en œuvre. Lorsque Napoléon accentue son pouvoir, il souhaite réformer tout ça.
La loi de Germinal du 28 mars 1803 confirme la mise en place du bimétallisme, en instaurant un rapport fixe de la valeur de l’argent par rapport à l’or.
Napoléon Ier ordonne également la frappe de nouvelles pièces d’or avec son portrait à la place de la figure de la République (Hercule). La technique évolue avec l’emploi d’un anneau (appelé virole pleine) dans le procédé de la frappe, ce qui permet de créer des monnaies parfaitement rondes.
Cinq essais de 40 francs or sont réalisés cette année-là avant la promulgation des lois du Franc germinal pour faire valider par Bonaparte le rendu esthétique de son portrait gravé, ainsi que l’emploi de cette nouvelle technique. Une de ces cinq monnaies est immédiatement détruite, car un échantillon était toujours fondu pour vérifier la composition et la teneur exacte en or. Ces quatre exemplaires seront les seuls à être marqués de l’an 11 en chiffre arabe. En effet, Napoléon Ier exigea que l’année soit plutôt frappée en chiffre latin XI sur les monnaies en circulation, pour éviter la confusion avec l’an 2 qui faisait alors référence à la terreur de Robespierre.
C’est ce genre d’histoires que vous trouverez dans cette série de catalogue sur le Franc, ce qui fait l’âme d’une collection en somme.